Promenade en forêt...

Ian marchait depuis maintenant deux heures. Il suivit le sentier étroit et tortueux pour arriver à un croisement où une route un peu plus large traversait le chemin. Il était perdu. Ian soupira.

*Je savais que j'aurais dû tourner à droite...*

Il était parti de l'auberge à l'aube. N'ayant presque pas dormi de la nuit, il avait décidé d'aller prendre l'air, et d'en profiter pour questionner les gens sur les environs mystérieux. Mais, en raison de l'heure matinale, il n'avait trouvé presque personne dans le village, et il avait donc décidé d'aller se promener, et peut être de retrouver sa voiture. Il avait longé la petite route par laquelle il était arrivé. Totalement pris dans ses pensées, il ne vit pas qu'il dépassait sa voiture, qui en une nuit avait vieilli de plusieurs années. La Mercedes autrefois resplendissante était maintenant une vieille carcasse à la carrosserie cabossée et au toues crevées. La végétation l'avait entièrement envahie... Il n'y avait plus de vitres non plus. Ian se demanda comment les mauvaises herbes avaient pu s'installer en une nuit.

*C'est bizarre... Comme tout ici, de toutes façons.*

Ian avait donc continué sa promenade. Il avait pris un petit sentier sur la gauche de la route et l'avait suivi jusqu'à une forêt. Au fur et à mesure qu'i avançait dans celle-ci, le bois devenait de plus en plus glauque. Les troncs se resserraient, la cime des arbres s'épaississait, l'herbe disparaissait peu à peu du sol, laissant place à des ronces... Au bout d'un moment, Ian se rendit compte qu'il était perdu. Il essaya de retrouver son chemin, mais il ne fit qu'aggraver la chose.
Il décida de suivre la grosse route et arriva finalement dans une clairière. Les arbres autour étaient de vieux chênes, et l'herbe y était grasse. Un petit ruisseau coulait ici et traversait la clairière. Comme pour accentuer ce côté bucolique, de nombreux oiseaux chantaient et donnaient ainsi aux lieux l'apparence d'un endroit calme et paisible. Ian remarqua alors qu'il n'était pas seul dans la clairière : un homme était assis sur une souche d'arbre. Il portait une vieille chemise en haillons, et il était de dos par rapport à Ian, qui ne pouvait donc pas voir son visage. Il semblait profondément occupé.

*Chouette, quelqu'un! Il pourra sûrement me renseigner*

Ian se dirigea vers lui et l'interpella.

-Monsieur! Monsieur, je me suis... Je me suis perdu, pourriez-vous m'indiquer le chemin du village, s'il vous plaît?

L'homme ne réagissait pas à ses appels. Il ne semblait pas l'avoir remarqué. Ian arriva finalement derrière lui, et remarqua que quelque chose clochait : L'homme ne bougeait pas, et il gémissait et grognait légèrement. De plus, il sentait atrocement mauvais, et de nombreuses mouches lui tournaient autour. Ian n'y fit pas vraiment attention, et, bien que Blake s’agitait en sentant le danger, il mit la main sur l'épaule de l'homme.

-Excusez-moi, j'ai besoin d'ai...

L'homme en question se retourna. Ce n'était pas un homme. C'était un monstre. Sa chair putréfiée pendait sur son visage. Il lui manquait de la peau, et par endroit on distinguait ses os. Il lui manquait un œil, et sa bouche était pleine de sang. Un zombie. Ian cria et tomba au sol. Le zombie se leva et se prépara à se jeter sur le jeune homme, mais celui-ci eut le temps de prendre un gros morceau de bois qui était près de lui. Il se releva et écrasa la tête du zombie avec, puis il partit en courant.

*Oh p*tain de m*rde! C'était quoi?!*

Il reprit la route qu'il avait suivie. Plus il avançait, plus il se rendait compte que les zombies étaient partout : ils sortaient des fourrés et même des ronces, leurs lambeaux de vêtements restant accrochés à celles-ci. Certain se tenaient debout et marchaient lentement; d'autres rampaient vers lui. Il manquait un membre à la plupart des monstres, qui ne semblaient pas être gênés. Ian commençait à être essoufflé.

*Non, non, non et non! Je peux pas m'arrêter maintenant...*

Il était déjà fatigué, et Blake essayait de prendre le contrôle de son corps. Un spasme le fit trébucher. Il s'écroula et tenta de se relever très vite. C'était trop vite. Il vomit les restes de son repas de la veille sur le sol devant lui. Un zombie s'approchait de lui. Il l'aggripa par la jambe. Ian cria.

-AAH! LAISSE-MOI TRANQUILLE!

Il mit un coup de pied au zombie, ce qui eût pour effet de lui arracher un membre. Ian se releva tant bien que mal. Ses cheveux étaient totalement hérissés sur son crâne, manifestant la peur de Ian. Devant lui se dressait deux autres créatures. Il prit sur lui-même et les poussa violemment. Ils ne résistèrent pas et tombèrent au sol. Ina continua sa course. Il manquait d'air et sa cheville lui faisait mal. Il se l'était probablement foulée quand il était tombé au sol. Son cœur battait à la chamade et il avait encore envie de vomir. Il arriva à une autre clairière, où aucun zombie ne semblait se trouver. Il tenta de reprendre son souffle et massa sa cheville. Sa chemise gris clair était tachée de sang marron et noir et de bile. Il faisait pitié à voir. Il était extrêmement pâle, à rendre malade les vampires. De plus, Blake cognait comme un fou dans sa cage thoracique, provoquant une douleur cuisante au niveau de l'estomac.

*Pourquoi ça n'arrive qu'à moi?..*

Soudain, un bruit le fit se relever. Il distingua dans l'ombre des arbres un zombie qui s'approchait de lui en grognant. Il recula de trois pas et entendit un gargouillement derrière lui. Il se retourna et vit un autre de ces monstres s'approcher de lui. Il repéra un caillou sur le sol et le prit pour s'en servir comme arme. Bientôt une trentaine de zombies l'encerclaient et s'approchaient doucement de lui. Il tournait sur lui-même avec sa pierre en essayant de se donner un air menaçant, ce qui avait pour effet de le rendre encore plus pathétique.

*Maintenant il ne faut qu'un miracle pour me sauver de là...*

Et à l'intérieur de lui-même une voix lui répondit :

*Ou Blake.*

La forêt... C'est bien un des rares endroits sous le dôme où je peux espérer trouver un semblant de tranquilité.
Depuis la fin du tournoi, j'ai pu constater qu'il y avait un certain nombre de villageois dans les gradins.
Les chroniques des combats ont été diffusées dans le village avec les moyens que les habitants ont à leur disposition dans leur cage et j'ai remarqué bien vite qu'on me jette des regards dès que je sors dans mon long manteau noir.
C'est vrai que je suis sortie seconde de cet affrontement et que j'ai combattu les Juges à armes égales mais de là à m'admirer comme un éventuel champion face à eux...
Je ne veux pas que ces gens placent des espoirs malvenus en moi, la seule chose que je cherche à obtenir, c'est la tête de mon damné paternel et rien d'autre !
Il n'y aurait pas une telle masse de démons de toutes sortes sous ce dôme depuis dix ans s'il ne tirait pas les ficelles dans l'ombre dans un quelconque intérêt qui m'échappe pour le moment.
Est-ce seulement pour le divertissement de voir des humains souffrir ? Le plaisir de voir toutes sortes de créatures s'entre-déchirer ?
Je reste calmement allongée sur une des plus hautes branches d'un chêne centenaire, goûtant le calme de cette forêt où je n'entends que le chant des oiseaux et...

- AAH! LAISSE-MOI TRANQUILLE !

Qui est l'abruti qui s'amuse à hurler de la sorte au beau milieu de nulle part ?...
Je me redresse d'un bond sur la branche qui me servait de couche et je plisse les yeux pour voir ce qui se trame en contrebas.
Je ne tarde pas à comprendre d'où vient ce cri d'orfraie en voyant détaler à toutes jambes un jeune homme pâle, apparemment il était tombé nez à nez avec un des nombreux zombies qui se cachait sous ces frondaisons.
Et s'il détale comme un lapin face à un seul d'entre eux, il ne fera pas long feu face aux petits groupes susceptibles de venir l'encercler.
Je n'ai aucune envie de voir quelqu'un se faire éviscérer et d'entendre ses cris d'agonie retentir longuement dans ma retraite.
En pestant, je m'élance de branche en branche et je constate que cet individu va s'attirer des ennuis, il vient de mettre les pieds dans une de leurs tanières.
Si je veux échapper au concert de ses cris d'agonie, je dois intervenir !...
D'un geste de ma main gantée, je fais appel à ma pyromancie et balance une boule de feu sur les zombies les plus proches pour couvrir ma descente.
Je bondis de mon perchoir et dégaine mon épée avant de trancher en deux au passage le zombie le plus proche de l'homme qui se retrouvait seulement armé d'une pierre.

- Si tu cherches à te faire tuer, tu as choisi le bon endroit !...

Je me tiens en garde devant lui, ces créatures de bas-étage doivent ressentir mon aura démoniaque et refusent de se frotter à moi d'ordinaire.
Mais l'idée de démembrer et de dévorer ce jeune homme semble leur faire furieusement envie, je vais devoir les réduire en pièce cette fois !...

Ian s'apprêtait à subir l'horreur. Et l'horreur survint, mais pas dans la forme qu'il aurait imaginé : une boule de feu jaillit d'un arbre et vient s'écraser sur un groupe compact de zombies, qui s'écroulent carbonisés. Le jeune homme eût un mouvement de recul devant ce brasier, et pendant une seconde Blake, profitant du fait que Ian soit déstabilisé, prit le contrôle de son corps. Mais heureusement, l'esprit de celui-ci réussit à refouler Blake et il reprit vite le dessus. Les zombies ne semblaient pas avoir vu qu'une dizaine de leurs semblables étaient maintenant à point; ou alors ils s'en fichaient totalement. Ian vit alors tomber de l'arbre tireur de boules de feu une femme à la peau et aux cheveux totalement blancs. Ses yeux étaient dénués d'iris, accentuant son aspect menaçant. La seule touche de couleur présente sur son corps était ses lèvres d'un rouge sang très vif. Celle-ci ne perdit pas de temps et dégaina son épée, non sans décapiter un zombie qui se trouverait dangereusement proche de Ian. Puis elle se mit en garde devant le jeune homme resté bouche-bée qui ne savait comment réagir.

- Si tu cherches à te faire tuer, tu as choisi le bon endroit !...

Ian ne savait que répondre. Il ne savait pas vraiment si cette femme s'était mise en garde pour le protéger, ou pour le tuer avant que les zombies ne le fasse. Il hésita et finit par dire :

- ... Euh, oui, j'ai bien vu...

Bien que la situation fut assez inconfortable pour les deux protagonistes, Ian s'apprêtait à expliquer à la fille comment il s'était retrouvé là. Ian était en proie à une grande peur et un stress d'une intensité rare, et toute son intention était fixée sur Blake qui essayait de prendre le contrôle du corps. Il ne faisait donc pas vraiment attention à ce qui se passait autour de lui, et raconter une histoire le détendait. Mais il n'eût même pas le temps de commencer son récit que des zombies surgirent du sol et les encerclèrent, resserrant encore l'étau qui les enveloppait.

*Allons bon, maintenant les femmes tombent du ciel et les zombies sortent du sol. Où va le monde?*

Ian lança alors sa pierre sur un des monstres à proximité, mais il visait tellement mal que le caillou atteint la tête d'un autre zombie à près de 5 mètres du premier. La pierre ne rebondit pas sur le crâne, mais s'y enfonça dans une sorte de " Pof " écœurant. Il s'affala. Ian n'avait maintenant plus d'arme, et il ne savait que faire.

*Si j'avais récupéré mon bout de bois... Mais, si bien sûr! Mon couteau! Je le porte toujours à la ceinture...*

Le jeune homme qui se tient derrière moi semble vraiment à coté de la plaque, il se contente de balbutier quelque chose alors que je viens ni plus ni moins de lui sauver la vie.
Ce n'est pas la reconnaissance qui l'étouffe mais ce n'est pas ce qui m'inquiète dans l'immédiat.
Une dizaine de zombies vient de surgir du sol afin de tenir compagnie à leurs comparses, comme s'ils n'étaient pas assez nombreux !
Je fronce mes sourcils blancs alors qu'ils font mine de s'approcher.

- La mort ne vous a pas suffi ?... Si vous souhaitez connaître les flammes de l'enfer par avance, je vais vous donner satisfaction !...

Gardant fermement ma lame dans ma main droite pour décapiter un de ces zombies qui se montrerait de trop près, j'ouvre ma main gauche et une flamme azurée s'y élève aussitôt.
Sans la moindre pitié, je déverse un flot de flammes brûlantes sur ces créatures.
La température dans la clairière devient étouffante mais c'est le cadet de mes soucis.
J'espère simplement que le jeune inconscient derrière moi ne va pas tourner de l'oeil !...

Apparemment, la fille n'était pas là pour le tuer. C'était en soi une bonne nouvelle. Celle-ci s'adressa aux zombies :

- La mort ne vous a pas suffi ?... Si vous souhaitez connaître les flammes de l'enfer par avance, je vais vous donner satisfaction !...

Pendant que celle-ci s'adressait aux zombies, Ian tira son couteau de sa ceinture et le prit dans sa main gauche. Bien qu'il ne s'en serve jamais, le contact gênant de la lame en acier sur sa jambe le rassurait. Il remarqua que sa main tremblait. Il n'avait pas froid, bien loin de là, mais il était dans un tel état mental que son corps avait du mal à se contrôler. Il était en même temps exténué, essoufflé, stressé, mort de peur et nauséeux. Sans compter la douleur causée par Blake qui lui lacérait les côtes.


*Déjà que je sais pas me battre, si en plus je tremble à mort, j'irais pas loin...*

C'est alors que la femme ouvra sa main gauche en direction des zombies, et envoya sur eux un déluge de flammes monstrueuses, les dispersant en poussière. La température monta subitement de plusieurs degrés. Le pouvoir de la femme était tellement puissant que celui-ci déclencha une onde de choc qui envoya Ian à terre. Il eut un nouveau spasme provenant de Blake, mais qui fut terrible cette fois : Ian se cabra violemment et se cassa une côte. Il gémit de douleur, mais réussit tout de même à se relever. Il tituba. Ses yeux bleus devenaient rougeâtres, il avait du mal à respirer, et il ne voyait plus clair. D'une main il essayait de contenir sa fracture ouverte, de l'autre il cherchait son couteau tombé au sol. Il finit par le récupérer, et, Blake contrôlant une partie de ses mouvements, le planta férocement dans le crâne d'un zombie qui était près de lui. Il retira l'arme et se recula en titubant. Sa côte le faisait atrocement souffrir.

[N'ayant pas de réponse de Phantom, je me permets de poursuivre...]

Embraser ces êtres dotés de peu d'intelligence n'est pas très difficile.
Ils sont tellement obnubilés par l'idée de déchiqueter le jeune homme tapi derrière moi qu'on a presque l'impression qu'ils sont prêts à se jeter dans les flammes pour l'obtenir.
Malheureusement mes flammes azurées sont aussi ardentes que le creuset des Enfers, elles ne leur laissent aucune chance et ceux qui ne sont pas carbonisés sur l'instant tombent en charbons ardents sans avoir réussi à surmonter mon flot de feu.
Mais je suis surprise en voyant soudain celui que je protège, muni d'un maigre couteau, s'élancer soudain sur un des morts-vivants pour aller lui planter directement dans le crâne.
Je ne suis pas sûre que frapper un point vital soit foncièrement utile sur de telles créatures, leurs cerveaux et leurs coeurs ont certainement perdu toute utilité depuis un bon moment.
Toutefois quelque chose dans sa façon de bouger me laisse à penser qu'il est blessé.
Si c'est le cas, il ne faut pas rester ici plus longtemps.
Mon attaque enflammée nous a donné une échappatoire, il est temps d'en profiter.

- Brouillard Noir !...

A l'aide de mes sphères de ténèbres, un nuage noir explose soudain dans la clairière, obscurcissant la vue de tous.
Mais je sens le jeune homme se mouvoir dans les ténèbres que j'ai générées et je m'empresse de le saisir par le bras pour quitter cet endroit au plus vite.
Plantant là les zombies, je l'entraîne sous les frondaisons jsuqu'à ce que nous ayons laissé le nuage derrière nous.
Ce n'est qu'à cet instant que je me retourne vers lui :

- Tu es blessé ?...

Si c'est le cas, je devrais perdre quelques précieux instants pour m'assurer que les sphères de lumière que j'ai remportées lors du tournoi ont réellement un effet curatif.
Je dois m'assurer que cette horde de zombies ne reviendra pas à l'assaut.

Ian ne contrôlait plus son corps. Il sentait Blake qui était en train de s'immiscer dans son esprit, et qui bientôt le contrôlerait totalement. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour repousser l'entité au fond de lui-même, mais il n'y arrivait pas. Il ne pouvait que regarder, impuissant, les actions violentes de Blake. Il se déchaînait avec le couteau. Il réduisait en charpie des zombies comme si il avait fait ça toute sa vie. Au bout de quelques secondes, Ian perçut la voix de la femme au milieu des grognements des zombies.


- Brouillard Noir !...

Puis, un voile noir s'abattit sur la clairière. Bien que la matinée ne fut même pas terminé, il faisait noir comme la plus obscure des nuits. Ian, qui était claustrophobe, se mit à stresser encore plus. Il se rendit compte qu'il était extrêmement fatigué, et que le combat contre Blake l'avait totalement épuisé. Blake n'en menait pas large non plus. Totalement déstabilisé, il donnait des coups de couteau en tout sens, sans se soucier de toucher quelque chose. En se mouvant, il buta sur ce qui semblait être la tête d'un zombie et manqua de s’effondrer, ce qui aurait sûrement eu de fâcheuses conséquences. Alors qu'il reprenait son équilibre, Ian sentit que quelque chose l'agrippait au bras et le traînait en hauteur. Il eût l'étrange impression de voler, mais l'obscurité était totale, et ne comme il était à moitié délirant, il ne pouvait en être sûr. Bientôt l'obscurité se dissipa et Ian put enfin distinguer la femme qui l'entraînait. Il se retrouvèrent sous un grand arbre heureusement éloigné de la clairière. Ian, ou plutôt Blake, était extrêmement ébloui, par ce retour à la lumière, et baissait les yeux. La femme n'avait donc probablement pas vu que son visage avait changé. Elle se retourna et lui demanda :

- Tu es blessé? ...

Ian bouillonnait à l'intérieur de lui-même. Blake voulait se jeter sur la femme pour la trucider, mais Ian essayait de l'en empêcher. Et il y arrivait un peu près. Il utilisa ses dernières forces pour grogner.

- Allez... Allez vous-en...

C'en était trop. Il ne pouvait retenir Blake. Il sombra dans l'inconscience, laissant le contrôle total à Blake. Celui-ci se redressa et montre enfin son visage à la fille. Ses yeux étaient maintenant dénués de pupilles et étaient entièrement rouges; ses dents avaient grossies, et sa bouche était figée dans un rictus atroce qui ressemblait vaguement à un sourire. Ses traits s'étaient creusés, il semblait avoir énormément vieilli. Enfin, ses cheveux étaient totalement hérissés sur son crâne, dans une sorte de crinière désordonnée. Tout apparence frêle avait disparu de son corps, qui semblait bien plus fort et agile. Il était assez menaçant, et semblait s'apprêter à se jeter sur la femme. Une voix,d'outre-tombe, totalement différente de celle de Ian, sortit de cette affreuse bouche.

- Je vais te tuer.

Le jeune homme tarde à me répondre, ce qui a le don de m'impatienter.
S'il est blessé, qu'il me le dise, rien ne dit que ces zombies ne vont pas repointer leur nez décomposé par ici.
Mais je l'entends soudain marmonner quelque chose, je dois tendre l'oreille pour comprendre :

- Allez... Allez vous-en...

M'en aller ? Il tient réellement à devenir une pitance pour zombies dans ce cas.
Vu ses maigres compétences en combat et son talent certain pour s'attirer des ennuis, il ne fera pas long feu dans ces bois sans mon aide.
Mais je sens soudain un mélange d'hostilité profonde et de joie sadique émaner du jeune homme.
Et je fronce soudainement mes sourcils blancs en voyant que même sa morphologie semble avoir changé, il n'a plus rien d'un garçon frêle et ses cheveux semblent s'être transformés en une crinière ébouriffée.
D'un bond, je m'écarte de lui et dégaine mon épée, je me mets en garde en ne le lâchant des yeux un seul instant.
C'est alors qu'une voix caverneuse franchit ses lèvres pour se muer en menace :

- Je vais te tuer.

Combien de fois ai-je entendu cette menace de la part des mignons de mon père ?...
Mais je ne m'inquiète guère de ces mots, ce qui m'intéresse c'est ce qu'il est advenu du garçon pataud que j'ai tiré des mains décharnés des zombies.
Visiblement je n'ai plus affaire à la même personne.

- Qui es-tu ?...

Je n'ai pas l'intention de me faire tuer par le premier schizophrène venu mais si je dois le ramener à la raison, je sens que ça ne va pas être simple....

La femme s'était écartée de Ian et avait dégainé son épée. Elle le regardait avec insistance. Tout humain qui se serait retrouvé face à elle à cet instant aurait eu peur, mais pas Blake. Non, l'entité ne connaissait pas la peur. Blake n'avait pas vraiment de conscience, et toutes les émotions humaines lui étaient pour la plupart étrangères. Il pouvait les percevoir dans l'esprit de Ian, mais ne pouvait les ressentir.

- Qui es-tu ?...

Blake ne cillait pas. Il la dévisageait, affichant une expression fourbe et vicieuse. Son affreux rictus semblait ancré sur son visage, et on eût l'impression que celui-ci ne le quittait jamais. Il répondit, toujours de sa voix rocailleuse.

- Je vais te tuer.

Sur ces mots, il écarta les bras et fléchit les jambes pour se mettre en position de combat. Ses ongles poussèrent anormalement vite, en déchirant la peau, devenant de longues griffes acérées. Son corps augmenta de volume, et une importante pilosité apparut sur ses membres et son torse. Ses vêtement craquèrent mais tinrent bon. Il arrêta de sourire, et s'avança lentement vers la femme, non sans cesser de la regarder. Quand il arriva à 3 mètres d'elle, il bondit sur la fille en donnant de nombreux coups de griffes dans sa direction. Ian, bien qu'il ne le sut pas, était en vérité très fort, même si l'épaisseur de ses muscles ne le montrait pas. Mais simplement, tout comme Blake ne connaissait pas les émotions, il ne savait pas utiliser sa force et son agilité. Ces deux dernières caractéristiques étaient réservés à Blake. Celui-ci bondit donc avec une vélocité étonnante et presque sans élan. Une fois qu'il fut dans les airs, Blake émit un son qui aurait pu s'apparenter à un aboiement rauque, tel un cri de guerre.

L'expression qui s'affiche sur le visage du jeune homme qui me fait face n'a rien à envier à celle des mignons de mon père, elle est purement démoniaque.
Et il se contente de répéter la même phrase, comme si c'était la seule pensée qui le traverse en ce moment.
C'est comme si ce jeune humain est possédé par une créature possédant uniquement l'instinct de tuer, un monstre en somme.
Et je ne me trompe apparemment pas de beaucoup, il écarte soudainement les bras et des griffes acérées jaillissent soudain de ses doigts.
Et toute sa silhouette semble brusquement augmenter tandis que ses bras et son torse se recouvrent d'un poil dru.
Je n'ai guère de mal à me faire une idée de la créature que je m'apprête à affronter après mon duel dans l'arène face à l'une des Juges.

- Un lycanthrope !...

Je ne l'aurais jamais deviné à son allure frêle mais plus de doute à avoir, sa métamorphose est trop semblable à celle d'Irina pour que je puisse douter.
Il bondit soudainement vers moi et je m'empresse d'esquiver ces coups de griffes aussi vifs que déterminés, plaçant ma lame entre nous lorsque quelques-uns de mes cheveux immaculés volent dans le vent, tranchés nets.
Kalika a beau être une arme exceptionnelle, forgée dans le creuset des enfers par un maître armurier infernal, elle n'est pas en argent, le métal qui permet de blesser cruellement les loups-garous.
Et je ne suis même pas certaine de vouloir blesser à mort celui qui me fait face, visiblement il n'est pas dans son état normal, puis-je le ramener à la raison ?
L'occasion m'est peut-être donnée alors qu'il bondit dans les airs afin de me déchiqueter de ses griffes.
J'effleure mes sphères de foudre et tends ma main gantée dans sa direction.

- Tu vas te calmer !...

Sans hésitation, je relâche leur pouvoir foudroyant droit vers lui, je ne peux pas le rater ainsi en suspension dans les airs.
Et peut-être qu'un bon éclair lui remettra le cerveau en place !...

Je fronce mes sourcils blancs alors que ma main gantée se plaque sur le torse du lycanthrope.
A bout portant, mon attaque va faire des dégâts mais si c'est le seul moyen pour le ramener à la raison...
Les loups-garous sont des créatures résistantes, ça ne devrait pas le tuer... en théorie.
Sans pitié, je déverse le pouvoir foudroyant de mes sphères à travers son corps, ce qui le stoppe net dans son élan meurtrier.
La décharge est suffisante pour l'éjecter loin de moi et lui fait heurter le tronc d'un arbre de plein fouet à quelques mètres de là.
Je le vois s'écraser lourdement sur le sol tapissé d'humus de la forêt et mes yeux sans pupilles s'écarquillent soudain.
Il reprend sa forme initiale, ai-je réussi à calmer la bête qui se tapit en lui ?...
Prudemment, je m'approche du jeune homme inanimé et je constate qu'il est inconscient, peut-être même...
Je m'agenouille près de lui et porte deux doigts à sa carotide...
Non, il est vivant, je sens son pouls sous mes doigts gantés mais maintenant un problème se pose.
S'il est blessé, je ne peux pas le laisser ici, les zombies qui nous ont pris d'assaut tout à l'heure ne vont sûrement pas rater un repas gratuit.
Mais s'il est grièvement blessé, je ne peux pas le déplacer, je risquerais d'aggraver ses blessures, voire même de le tuer...

- Enfer !...

Si mes pareils me voyaient, ils se moqueraient sans doute bien de moi.
Une princesse infernale qui prend en pitié une créature qui a tenté de le tuer, ils me trouveraient bien trop de coeur.
Mais je me moque bien des usages de la Géhenne depuis que j'ai renié mon père, aussi schizophrène soit-il, je ne tenais pas à tuer ce jeune homme.
Je porte la main à mes Sphères de Lumière que j'ai gagnées au cours du tournoi, je n'ai jamais tenté de m'en servir pour me soigner, encore moins pour soigner quelqu'un d'autre.
Cela suffira-t-il ?...
Une lueur blanche jaillit de ma main et j'ai l'impression qu'une décharge électrique me transperce toute entière.
Je n'ai jamais usé de magie sacrée à un tel niveau et ma nature démoniaque n'apprécie pas cet exercice, vais-je seulement à arriver à quelque chose ?...

La femme, s'était approchée de Ian. Elle prit son poul, puis sembla hésiter. Finalement, elle poussa un juron et posa sa main sur ses sphères de lumière. Elle toucha le corps inerte de Ian, et une lueur éclatante jaillit de sa main et rentra dans le corps de Ian. Des étincelles parcoururent ses membres, courant le long des veines et des nerfs. Dans de multiples petits crépitements, l'énergie blanche soigna Ian, et tout particulièrement sa blessure au torse. En quelques secondes, il ne restait plus de celle-ci que la trace carbonisée sur la chemise.. Ian fut secoué par un spasme, et il se redressa en prenant appui sur ses mains. Il ouvrit grand les yeux et inspira une grosse bouffée d'air en hoquetant. Pendant un moment, il fut totalement déstabilisé, mais la vision de la femme lui rappela les évènements survenus quelques minutes plus tôt.

*Bon Dieu... Qu'est-ce que je fais là !*

Il avait mal aux côtes et au dos à cause de sa collision avec l'arbre. Mais il ne sentait plus la douleur causée par Blake. Il ne sentait même plus l'entité, en fait. En se concentrant, il la perçut finalement, tapie au fond de son organisme. Au moins, Blake le laisserait tranquille pendant quelques jours. Ian vit alors son torse, et se demanda ce qui était arrivé. Puis il vit aussi que ses vêtements étaient en lambeaux, et qu'il était presque nu; extrêmement gêné d'être ainsi devant la femme, il se recroquevilla un peu en bredouillant des excuses.

- Excusez-moi...

Il essaya de se relever, mais vacilla et retomba sur le sol. Ses jambes étaient en compote et ne voulaient plus lui obéir. Il était totalement exténué et avait besoin de dormir. Il resta là, honteux de cette faiblesse et dit :

- Je me suis transformé, non ?

Je dois faire preuve de volonté pour user de ces Sphères de Lumière sur le jeune homme blessé, je ne m'attendais pas à ce que leur pouvoir lutte contre ma nature démoniaque.
Il me faudra un peu de temps pour apprendre à les maîtriser sans en souffrir un peu mais au moins leur magie sacrée semble efficace.
Les dégâts qu'a infligés mon attaque foudroyante disparaissent peu à peu, il ne reste sur les vêtements du jeune homme que la trace noirâtre de la déflagration qui l'a mis K.O.
Un spasme le secoue soudain et je cesse aussitôt ma tentative de soin, ai-je trop abusé de la magie sacrée sur ce lycanthrope ?...
Non... Visiblement il va mieux, il revient à lui bien qu'en hoquetant et en reprenant péniblement son souffle.
Il semble complètement étourdi mais je ne peux pas lui en vouloir après ce que je viens de lui infliger.

- Tu reviens enfin à toi ?...

Il ne semble plus y avoir trace de mon assaillant en lui, j'ai au moins mis court à sa folie pour le moment.
Je le vois se recroqueviller en rougissant légèrement mais je suis à mille lieux de penser que c'est à cause de sa tenue.
En dépit de mon long manteau qui me dissimule à la vue de tous et de mes cuissardes, je suis moi-même plutôt légèrement vêtue, une habitude qui m'est restée des terres qui m'ont vu naître.
En tout cas, il se met à bredouiller des excuses.
Je me contente de hausser les épaules, je n'ai que faire d'atermoiements, il ne semble pas maîtriser cette créature tapie au fond de lui.
En tout cas, il tente de se remettre sur ses jambes et retombe sur son séant presque aussitôt.
Je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils en voyant ça, il n'est même plus capable de se défendre tout seul.
Et il se contente de souffler quelque chose :

- Je me suis transformé, non ?

Je retiens un soupir, s'il se retrouve dans cet état à chaque fois qu'il se transforme, il ne va pas faire long feu.

- Je confirme. Et tu as même essayé de me tuer si tu veux tout savoir !...

Un mélange de consternation et d'incrédulité passe à travers son regard, pas besoin d'être médium pour comprendre qu'il se demande pourquoi il est encore en vie dans ce cas.
Il a assisté à ma démonstration de forces devant les zombies qui nous encerclaient, j'aurais pu tout aussi bien le carboniser sur place que ces monstres.
Je ne le lâche pas de mon regard sans pupilles, je vais enfin pouvoir lui poser les questions qui brûlent mes lèvres écarlates :

- Maintenant que tu es calmé, tu vas me dire qui tu es et ce que tu es venu faire seul dans un endroit aussi dangereux !...

Ce n'est pas une demande, c'est une injonction, presque un ordre et je me moque bien des créatures qui peuvent nous attendre sous les frondaisons.
Je me ferais une joie de les accueillir si elles décident de venir troubler notre conversation.

La femme fronça les sourcils à la veine tentative de Ian de se remettre debout. Elle retint même un soupir; il pensait avoir deviné ce qu'elle pensait. Il se savait extrêmement faible, et il ne ferait pas long feu si d'autres zombies apparaissaient. Habituellement il se serait senti mal à l'aise et aurait stressé d'être avec une inconnue dans une tenue extrêmement débraillée; mais étrangement il se sentait extrêmement serein... Ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps. Cela était probablement dû à Blake, qu'il avait retenu trop longtemps et qui l'avait rendu encore plus paranoïaque et persécuté que d'habitude. Maintenant, il était plutôt calme et posé. Mais il était aussi totalement exténué, aussi bien physiquement que mentalement; il avait besoin de dormir. Il n'avait qu'une envie, c'était de retourner dans l'auberge, de prendre un bain brûlant et de se coucher dans la foulée. Il réprima un bâillement, et la femme répondit à sa question :


- Je confirme. Et tu as même essayé de me tuer si tu veux tout savoir !...

Ian fit la grimace. Il n'avait pas voulu la tuer, surtout qu'elle lui avait sauvé la vie.

- Ah... Je suis désolé... Blake est totalement incontrôlable...

Ian se demanda alors pourquoi la femme ne l'avait pas tout simplement tué. C'est vrai, elle était très agile et possédait des pouvoirs puissants; elle n'aurait fait qu'une bouchée de lui si elle en avait eu envie. Elle le fixait avec insistance et lui posa alors une question :

- Maintenant que tu es calmé, tu vas me dire qui tu es et ce que tu es venu faire seul dans un endroit aussi dangereux !...

Ian se gratta la tête et réfléchit. Il finit par répondre :

- Eh bien... Je me promenais dans la campagne... J'ai vu la forêt de loin, elle avait l'air sympathique, et j'ai décidé d'y marcher un peu. Puis je me suis perdu, et je suis tombé sur ces zombies... Au fait, mon nom est Ian. Et vous ?

Je vois le jeune lycanthrope se gratter la tête, manifestement gêné à l'idée de me répondre mais il finit par ouvrir la bouche pour s'expliquer :

- Eh bien... Je me promenais dans la campagne... J'ai vu la forêt de loin, elle avait l'air sympathique, et j'ai décidé d'y marcher un peu. Puis je me suis perdu, et je suis tombé sur ces zombies... Au fait, mon nom est Ian. Et vous ?

Je ne sais pas ce qui me retient de le frapper pour lui remettre le cerveau à l'endroit.
Il est prisonnier d'un dôme démoniaque, dans une contrée où sévissent d'innombrables créatures inhumaines toutes plus inquiétantes les unes que les autres et lui il va faire du tourisme ?...
On n'a pas idée d'être aussi inconscient ou alors c'est un suicidaire en puissance !...
Néanmoins je n'ai pas raté une miette de ce qu'il a dit, visiblement il appelle la créature qui m'a attaquée Blake.
Est-ce un dédoublement de personnalité, une nouvelle version de Docteur Jekyll et Mister Hyde ?
Ou bien est-il possédé par une autre créature, à l'instar du jeu cruel auxquels se livrent certains démons de bas étage sur les humains et ont donné naissance aux exorcismes ?
Ce n'est pas ce qui m'intéresse sur le moment et je ne suis pas venue ici pour faire ami-ami après le premier passant venu.

- Je m'appelle Sélène, Sélène Raven. Tu vas pouvoir te relever ?...

A vrai dire, je doute qu'il puisse tenir sur ses deux jambes vu son état pitoyable et sa tentative avortée mais il y a une raison pour laquelle je veux quitter ces bois.

- Mieux vaut que tu retournes au village. S'il le faut, je te porterai jusque là-bas mais sauf si tu tiens à mourir, je te conseille de ne plus jamais remettre les pieds ici !...

Mon regard dénué de pupilles a la dureté du métal, il a eu une chance insolente que je sois dans les environs pour le défaire de ces zombies et encore davantage que je ne sois pas de nature impulsive.
Un autre que moi aurait bien pu prendre la décision de le tuer alors qu'il était sous l'influence de Blake.
Sans un autre mot, je tends ma main blanche dissimulée sous mon gant de cuir noir pour l'aider à se relever.

- Je m'appelle Sélène, Sélène Raven. Tu vas pouvoir te relever ?...

Ian fut heureux d'entendre cette réponse pas trop hostile à son égard. Il s'en voulait que Blake aie essayé de la tuer (mais aussi parce qu'elle connaissait maintenant son secret), et il espérait que ses excuses seraient prises en compte. Jusqu'à présent, Sélène n'avait pas été trop méchante à son égard, mais pas trop gentille non plus. Au moins, elle lui donnait l'impression de s'intéresser à lui.

- Je ne sais pas... Je vais essayer.

Ian joignit le geste à la parole, et se releva tant bien que mal. Il prit appui sur l'arbre. Ses jambes flageolaient, mais au moins il tenait debout. Il sourit à Sélène comme pour lui dire que ça allait, ce qui n'était pas vraiment vrai.

- Mieux vaut que tu retournes au village. S'il le faut, je te porterai jusque là-bas mais sauf si tu tiens à mourir, je te conseille de ne plus jamais remettre les pieds ici !...

Ian n'était pas sûr de pouvoir marcher jusqu'au village, vu qu'il avait du mal à tenir debout. Mais il ne pensait pas que Sélène lui aurait proposé de le porter. Bien qu'il ne fut pas lourd du tout et que Sélène soit musclée (il ne pouvait pas le voir vu qu'elle portait une cape noire, mais il le devinait), il savait que le village était à au moins une heure de marche, et qu'elle ne tiendrait sûrement pas jusque là-bas. Il espérait d'ailleurs qu'elle n'ait pas à le porter, car il serait gêné d'être porté à son âge. Sans compter que ça serait fait par une femme totalement inconnue.

- Merci beaucoup... Je veux bien que vous m'accompagnez... C'est gentil de me le proposer, mais je peux marcher je pense...

Il fit trois pas hésitants et malhabiles, puis il dit :

- Ça ira.

Je ramène ma main gantée vers moi, Ian n'a pas voulu s'en saisir et je ne peux m'empêcher d'afficher un sourire désabusé.
Je suis une démone, j'ai l'habitude d'être repoussée à cause de mon apparence inhumaine mais je ne m'attendais pas à voir celui que j'ai épargné refuser la main que je lui tends.
En tout cas, il parvient à se remettre sur ses jambes, même si celles-ci flageolent sous lui.

- Merci beaucoup... Je veux bien que vous m'accompagnez... C'est gentil de me le proposer, mais je peux marcher je pense...

Ainsi il repousse ma main mais il accepte ma compagnie, curieux comportement...
Je me redresse alors qu'il fait quelques pas, aussi maladroitement qu'un jeune enfant qui commence à peine à marcher.
Il essaie pourtant de sourire comme pour me rassurer.

- Ça ira.

A ce rythme, il risque de ne pas être rendu vu la distance qui nous sépare du village.
Je le contemple de mon regard immaculé sans ciller, la main sur ma hanche blanche.

- Dans ce cas, je te servirai d'escorte car tu ne survivras pas au trajet autrement...

Mes mots sont durs mais ils sont réalistes, il ne fera pas de vieux os s'il tente de sortir de ces bois seul et dans cet état pitoyable.
Sans compter que ces vêtements ont souffert de sa course folle pour échapper aux zombies et à notre affrontement, il fera sans doute sensation en retournant au village ainsi vêtu.

- Mettons-nous en route !...

Je dégaine ma lame et avance de quelques pas, je vais ouvrir la route et transpercerai de ma lame tout ce qui se dressera sur notre route jusqu'au village.

Sélène le regardait avec insistance. Ian mentait assez mal, et elle voyait bien qu'il ne pourrait pas marcher jusqu'au village. Mais elle ne dit rien là-dessus. Ian se retourna et grimaça. Il s'était tordu la cheville en essayant d'échapper aux zombies et il avait mal à celle-ci. Son dos avait souffert aussi. Il marcha tant bien que mal sur quelques mètres, avant de se rendre compte qu'il ne connaissait pas la direction à prendre Il se re-retourna alors vers Sélène.

- Dans ce cas, je te servirai d'escorte car tu ne survivras pas au trajet autrement...

Elle avait raison. Ian n'aurait pas eu la force de retourner au village. De plus, il se serait probablement perdu même s'il avait eu la bonne direction, vu la régularité glauque des lieux.

- Mettons-nous en route !

Sélène partit alors dans la direction opposée de Ian. Il dut la rattraper en boitillant. Elle ouvrait la route avec son épée, et semblait déterminée à avancer coûte que coûte. Ian dit alors :

- Au fait... Merci.

Je me retourne pour voir si Ian me suit et je sens mes lèvres écarlates se crisper en voyant qu'il me suit en boitillant.
S'est-il tordu la cheville pendant notre affrontement ? Ou bien durant sa tentative désespérée pour échapper aux zombies un peu plus tôt ?
Difficile de le savoir mais il ne va pas pouvoir faire le trajet qui nous sépare du village en clopinant.
S'il fait mine de s'étaler, je jure que je le ramasse et le jette en travers de mes épaules pour le ramener là-bas comme un vulgaire sac.
Et il choisit ce moment pour me glisser :

- Au fait... Merci.

Je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils en entendant ça, de quoi me remercie-t-il ?
D'avoir épargné sa vie alors qu'il a tenté de me tuer sous l'emprise de son alter ego ?
D'avoir décidé de lui servir d'escorte jusqu'au village.
Je me contente de pousser un soupir résigné avant de rabattre mon capuchon sur mon visage.

- Ne me remercie pas encore, tu es loin d'être sorti d'affaire. Commençons par quitter ces bois !...

Après tout, cette forêt est un vrai nid à créatures en tout genre, plus inquiétantes les unes que les autres.
Et il n'est pas dit que les zombies que j'ai repoussés tout à l'heure - aussi stupides soient-ils vu l'état de décomposition de leur cerveau - ne reviennent pas à l'assaut.
Je me contente d'ouvrir la marche dans les bois, attentive au moindre bruit suspect, je sens d'ores et déjà que notre retour au village ne se fera pas sans encombre.

Sélène s'était tournée vers Ian et fronça les sourcils quand celui-ci la remercia. Puis elle rabattit son capuchon et se retourna en disant :

- Ne me remercie pas encore, tu es loin d'être sorti d'affaire. Commençons par quitter ces bois !...

Elle continua sa route. Ian la suivait aussi bien qu'il pouvait, mais il avait mal partout et ses jambes avaient un mal fou à le porter. Il se contorsionnait dans tout les sens pour garder son équilibre et tenir debout, car il imaginait bien qu'il ne pourrait pas se relever en cas de chute. Soudain, il s'arrêta. Il venait de se rendre compte que Sélène connaissait son secret le plus noir. Il se mit à stresser de peur qu'elle le révèle aux gens du village. Mais il se rassura en se disant qu'elle-même n'était pas très humaine, ou du moins n'en avait pas vraiment l'air. Il repartit alors. Elle avait un peu avancé, mais il réussit à la rattraper. Il n'osait pas engager la conversation. Le moment de calme et de sérénité était vite passé, laissant place au doute et au malaise. Elle ne semblait pas être heureuse de l'avoir trouvé là, ce qui était compréhensible. Mais après tout il n'avait rien fait de mal... Enfin il avait peut être essayé de la dévorer.

*Mais ce n'étais pas moi ! C'était Blake ! je n'aurais jamais essayé ne serait-ce que de la gifler...*

Ils progressaient sur un petit sentier à peine visible dans les fougères et les ronces. Ian manqua de tomber plusieurs fois et s'écorcha les mais et les genoux, mais à chaque fois que Sélène se retournait pour vérifier qu'elle ne l'avait pas entendu chuter, il était arrivait toujours à être debout et lui adressait un sourire niais qui se voulait aussi sincère que possible. Il est inutile de préciser que Ian mentait mal et qu'il se doutait bien que Sélène n'était pas dupe. Mais tant qu'il pouvait marcher, il le ferait. Il ne tenait pas à être porté par Sélène.

Je me fraye un chemin sur un sentier inexistant au milieu des bois entre les fougères bruissantes et les ronces acérées.
De temps en temps, je jette un coup d'oeil à Ian, combien de temps va-t-il réussir à marcher ?
Mais à chaque fois que je me retourne, il affiche un sourire niais sur son visage juvénile.
Pourtant je l'entends distinctement trébucher à plusieurs reprises et je ne tarde pas à remarquer qu'il s'écorche les mains sur les ronces environnantes.
Ses genoux aussi montrent qu'il a rencontré le sol et la végétation à plusieurs reprises.
Et pourtant, à chaque fois que je lui jette un coup d'oeil pour m'assurer qu'il ne s'est pas étalé de tout son long, il est toujours debout, ce sourire angélique collé sur le visage.
Est-il stupide ? Masochiste ? Un peu des deux ?...
Quoiqu'il en soit, nous approchons de l'orée de la forêt quand je perçois soudain un bruit suspect.

- Ne bouge plus !...

Je me mets en garde mais le bruit ne vient ni d'autour de nous ni d'en dessous, ce ne sont pas des zombies qui reviennent à la charge.
Non, le bruit suspect que j'ai capté vient des arbres qui nous dominent et Ian commence sans doute à entendre distinctement des battements d'ailes.
Mais ce ne sont pas des oiseaux, les rires aigus que l'on entend et les borborygmes ne laissent aucun doute sur leur identité, du moins pour moi.

- Des diablotins !...

Je ne peux m'empêcher de pester, aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais apprécié ces créatures.
Ce sont des démons de bas rang, tout juste bons à effrayer les humains avec leur apparence grotesque.
Mais en nombre, ils peuvent être des véritables plaies et si quelques-uns d'entre eux sont assez futés pour me connaître, ils ne vont certainement pas se priver de vouloir s'attirer les faveurs de Lucifer.
Pour l'instant, je me contente de me tenir en garde, attentive au moindre mouvement de leur part.
Avec un peu de chance, ils seront assez stupides pour ne pas percevoir notre présence et nous pourrons quitter cette forêt afin de rallier le village.

Ian suivait toujours Sélène dans la forêt. Il pestait contre sa manie de tomber tout le temps là où il y avait des ronces ou des orties.

*Déjà un pantalon de fichu... Sans parler de mon manteau et de ma chemise. Si je continue comme ça, d'ici une semaine je n'aurais plus que des caleçons et des chaussettes à me mettre... *

Il écarta péniblement une branche au niveau de son visage. Bien qu'il n'ait pas mal, ses genoux étaient couverts de sang, et le liquide gluant et chaud lui collait à la jambe, lui faisant esquisser une grimace de dégoût à chaque pas. Il constata en revanche que la forêt était maintenant bien plus accueillante, et donc qu'ils approchaient de la sortie. Soudain, Sélène s'immobilisa, semblant écouter quelque chose. Ian, qui regardait derrière lui, ne la vit pas et manqua de lui rentrer dedans. Il réussit à empêcher la collision au prix de plusieurs mouvements acrobatiques ridicules et se stabilisa sur ses jambes tremblantes. Il regarda autour de lui.

- Ne bouge plus !...

Ian ne savait pas ce qui se passait, mais Sélène avait l'air extrêmement sérieuse. Il ne tenait pas à ce qu'elle soit entraînée dans une autre situation périlleuse à cause de lui. Elle lui avait déjà sauvé la vie une fois, et l'avait épargné lui et Blake, ça suffisait. Il ne bougea donc plus, osant à peine respirer. Il lui sembla bientôt distinguer des bruissements d'ailes ainsi que des rires provenant de la cime des arbres.

- Des diablotins !...

Des diablotins. Ces petites créatures immondes qui avaient attaqué Ian lors de son arrivée au village. Elle n'avait pas l'air très dangereuses, mais Sélène ne perdit pas de temps et se mit en garde, en fixant un point non défini de la cime des arbres. Elle semblait les attendre. Ils restèrent ainsi pendant plusieurs longues minutes, à l’affût du moindre mouvement suspect. Les diablotins semblèrent s'éloigner et on ne les entendit plus. Ils attendirent encore un peu, de peur qu'ils reviennent, puis se remirent en route. Il était maintenant près de 16 heures à la montre de Ian. Il avait passé toute la journée dans cette horrible forêt, et voulait à tout pris rentrer à l'auberge.

Je reste attentive au moindre bruissement dans les feuilles, au moindre mouvement dans les branches mais peu à peu les ricanements et les borborygmes s'éloignent.
Ils ne se sont pas aperçus de notre présence, ça prouve leur stupidité à toute épreuve.
Je me retourne vers Ian qui semble avoir été en apnée tout le temps où j'ai guetté leur avancée.

- Remettons-nous en route !...

Cette fois, je rengaine ma lame dans son fourreau, une fois hors de la forêt, nous serons en terrain dégagé.
Si une menace se présente, je la verrais venir de loin et je pourrais agir en conséquence.
Au bout d'un petit moment, nous franchissons l'orée des bois et nous mettons le pied dans les plaines qui entourent le village.
L'après-midi est bien avancé, nous ferions donc mieux de regagner le village avant la tombée de la nuit.
Mais je constate que se retrouver à découvert semble mettre Ian mal à l'aise, c'est vrai que ses vêtements sont dans un fâcheux état.
Je me contente de pousser un soupir et détache ma bourse contenant mes sphères avant de l'attacher solidement à ma ceinture.
Et je dégrafe mon manteau d'un geste avant d'en envelopper le jeune homme pour le dissimuler à la vue de tous.
Je constate aussitôt que son regard ne me lâche plus mais je ne peux lui en vouloir.
Mon apparence est surprenante pour qui me voie sans ce manteau qui constitue ma seule protection aux yeux de tous.
Ma chevelure neigeuse, mes yeux sans pupilles, mes lèvres couleur sang, mon corps harmonieux au teint de marbre blanc seulement tranché par mes maigres vêtements de cuir noir, cela n'a rien d'humain mais c'est l'apparence quI est mienne, celle d'une princesse infernale.
J'interroge du regard Ian.

- Un problème ?...

Nous n'avons pas beaucoup de temps avant la nuit, nous ferions mieux de nous remettre en route rapidement ?...