Promenade en forêt...

Après une vingtaine de minutes de marche, ils arrivèrent finalement à la sortie de cette maudite forêt. Ian était mort de fatigue, il avait de plus en plus de mal à tenir sur ses jambes. Son dos et ses côtes lui faisaient encore mal. Il se sentait sale, et il n'avait pas vraiment tort : il était plus ou moins recouvert de terre et de nombreuses écorchures parsemaient son corps. Ses vêtements étaient en loques et pleins de taches de sang, de vomi et de boue. C'était la fin de l'après midi d'une belle journée. Le soleil brillait fort, et la rase campagne semblait s'en émerveiller. Mais pas Ian. Il n'aimait pas la pleine lumière, tout comme l'obscurité totale d'ailleurs. Ils progressèrent une dizaine de minutes sur le chemin caillouté.
Mais plus ils s'approchaient du village, plus Ian se sentait mal à l'aise. Il était à moitié nu, et les morceaux de vêtements qui lui restait étaient pour la plupart extrêmement abîmés et sales ; et, en grand paranoïaque qu'il était, il n'osait même pas imaginer ce que pourraient penser les gens du village en le voyant dans cette tenue. Ses pas malhabiles devinrent de plus en plus hésitants. C'est alors que Sélène se retourna et vit la gêne du jeune homme. Elle poussa un soupir, détacha une bourse de son manteau qu'elle accrocha à sa ceinture, puis enleva son manteau. D'un geste rapide et précis, elle en habilla Ian. Bien que celui-ci ne supporte pas le moindre contact en provenance d'un inconnu (même une poignée de mains), il se laissa faire. Déjà parce que le manteau était épais et atténuait le contact de Sélène mais aussi parce qu'il était obnubilé par le corps de celle-ci. Jusqu'ici son manteau avait caché son corps, et Ian n'avait rien pu voir de celui-ci. Et il ne s'attendait certainement pas à ça. Bien qu'il fasse tout pour refouler ses émotions, il ne put s'empêcher de remarquer que Sélène était très belle. Son corps avait une forme harmonieuse, et son visage gracieux s'accordait à merveille avec le reste. Mais il y avait aussi cette étrange peau, qui n'était même pas beige pale mais vraiment blanche; sans compter ses yeux dénués de pupilles, ses cheveux immaculés et ses lèvres rouge écarlate. De plus, elle n'était que très légèrement vêtue.
Ian la contempla ainsi pendant quelques secondes, oubliant que d'habitude il ne pouvait supporter le faire. Sélène le remarqua et dit alors :

- Un problème ?

Ian se ressaisit et bredouilla un pauvre " non... ". Puis il rougit en se rendant compte de ce qu'il faisait. Il baissa honteusement les yeux et ils se remirent en route. Ian était extrêmement mal à l'aise maintenant et se demandait s'il ne préférait pas quand c'était lui qui était presque dénudé. Car la tenue très légère de Sélène mettait en valeur ses formes harmonieuses. Mais Ian aurait tout le temps d'y penser plus tard. Il devait maintenant se concentrer et puiser dans ses dernières forces pour retourner au village, car il sentait qu'il ne pourrait plus marcher longtemps. Et la nuit allait bientôt tomber, ils devaient se dépêcher.

Sans être medium, je comprends vaguement que mon apparence dérange Ian.
Ce n'est pas la première fois depuis que j'ai mis le pied sur Terre, je suis une démone après tout.
Les humains ont peur de moi, vu mon apparence, on me prend fréquemment pour une vampire.
C'est pourquoi je préfère me dissimuler sous ce manteau noir, cela protège mon identité, d'autant plus depuis la fin de ce tournoi où je me suis illustrée sans réellement le vouloir.
Mais pour l'instant Ian en a plus besoin que moi et vu qu'il n'a dit avoir aucun problème, je me contente de tourner les talons pour reprendre ma route en direction du village.
Je garde néanmoins la main sur la garde de ma lame à mesure que nous avançons et que le jour descend peu à peu.
Dans cette plaine, nous avons une vision parfaite autour de nous mais cela vaut aussi dire que nous n'avons aucune cachette si jamais nous étions assailli.
Je jette un oeil de temps en temps à Ian qui traîne la patte derrière moi et je tends soudain ma main gantée devant moi pour indiquer un point au loin.

- On voit le village d'ici...

Je dis vrai, en contrebas et à l'horizon, on distingue les premiers toits du village.
Cela devrait redonner suffisamment d'énergie à mon frêle compagnon pour qu'il arrive jusque là-bas.
Et cette vision semble en effet le revigorer un peu, je me contente donc de reprendre la marche assez lentement pour qu'il puisse me suivre mais néanmoins assez vite pour que nous y soyons avant la nuit tombée.
Ce n'est que lorsque le soleil disparaît lentement derrière la chaîne des Carpates que nous arrivons aux abords du village.
Il va bientôt faire assez sombre pour qu'il puisse rejoindre l'auberge sans encombres et je pose mon regard immaculé sur lui.

- Je ne vais pas plus loin, je ne tiens pas à me faire remarquer...

Sans mon manteau, je suis aisément reconnaissable et de loin, je ne veux pas attirer l'attention des habitants, qui soit se méfieront devant mon apparence inhumaine, soit reconnaîtront en moi la vice-championne du dernier tournoi.
Mieux vaut que nos chemins se séparent ici pour notre sécurité à tous les deux.

Ils marchèrent encore une bonne heure. Sélène avançait d'un pas sûr et décidé, et Ian avait de plus en plus de mal à suivre sa cadence. Il n'en pouvait plus, et arrivait à peine à mettre un pied devant l'autre. Mais la perspective d'être porté par la démone ne le réjouissait pas, et au contraire lui donnait du courage pour avancer. Le soleil allait se coucher. Il ferait bientôt nuit. Ian ne se souvenait pas avoir marché si longtemps et se demandait s'il s'était autant éloigné du village. Ils croisèrent personne, pas même un fermier. A un moment, Sélène se retourna vers lui et pointa du doigt l'horizon.

- On voit le village d'ici...

Ian se concentra sur la direction indiquée et remarqua effectivement les toits du village. En regardant vers la gauche, il put même voir la route par laquelle il était parti le matin. Il avait donc fait une énorme boucle. Ils avancèrent jusqu'aux premières maisons, et Sélène dit alors :

- Je ne vais pas plus loin, je ne tiens pas à me faire remarquer...

Ian acquiesça silencieusement. Il ne savait pas pourquoi elle ne tenait pas à entrer au village, si c'était à cause de son apparence, ou d'une autre chose ; mais il respectait sa décision. D'ici, une rue toute droite menait à la place et donc à l'auberge. Il ne se perdrait pas dans les ruelles au moins. Le soleil disparût alors derrière les montagnes, et ses derniers rayons illuminèrent les deux protagonistes. Ian en fut presque ébloui. Il enleva le manteau de Sélène et le lui rendit. Tant pis si les gens s'interrogeaient sur les raisons de sa tenue débraillée, mais il devait rendre la cape à Sélène. Il avait du mal à articuler. S'il avait eu la force de s'exprimer convenablement, la démone aurait pu entendre de longs remerciements. Mais Ian se contenta de lancer un pauvre :

- ... Encore merci...

Ian resta quelque secondes à la regarder dans les yeux, puis il avança tant bien que mal dans la rue. Il se retourna une fois vers Sélène, pour voir si elle était partie. Les quelques personnes dehors à cette heure se tûrent à son passage et le dévisagèrent. Ian avait horreur de ça, mais il essayait de ne pas y penser. Il parcourut avec difficulté la centaine de mètres jusqu'à l'auberge et y entra sans hésitation. Sans un mot à l'adresse de Tristan, il monta les escaliers étroits avec difficulté et rentra dans sa chambre (heureusement qu'il n'avait pas perdu la clé dans la forêt...). Il s'affala sur son lit quelques secondes, bût une bouteille entière d'eau, se força à manger un cookie et alla prendre un bain brûlant. Il faillit s'y endormir, puis il se sécha, mit un caleçon et se glissa dans les draps. Ils s'endormit presque tout de suite.

» L'ésprit de la forêt rang B