L'arrivée dans la chambre

Il faisait presque nuit. Le patron de l’auberge avait allumé les lumières, bien que les derniers rayons du soleil passent encore à travers les fenêtres aux carreaux crasseux. Il n’y avait pas grand-monde dans les salles communes de l’auberge : seul un vieil ivrogne affalé contre le bar rompait la quiétude inhabituelle des lieux. Bien que les affaires fussent en chute libre depuis l’arrivée des démons dans la région, l’auberge était souvent remplie d’illuminatis venus ici pour s’entretuer avec la plus grande fureur et de gens du village venus pour diverses occasions. Une jeune fille passait le balai sur le vieux parquet.
Le patron, un cinquantenaire nommé Trystan, essuyait un verre avec un torchon. Il était préoccupé. Son commerce, autrefois florissant, faisait de moins en moins de bénéfices. Les gens ne venaient plus visiter la région. En même temps, Trystan les comprenait. S’il avait été un gras touriste en chemise à fleur venu visiter la Transylvanie, il ne se serait pas rendu dans un endroit étrange d’où on ne peut repartir et où des cinglés avides de sang s’entretuent sous l’œil bienveillant des démons… Mais bientôt, si rien ne s’améliorait, il allait devoir mettre la clé sous la porte. Comme à son habitude, il dit au vieil ivrogne :

- Bon allez Vali, il faudrait que tu rentres chez toi avant que ta femme t’empale sur une fourche.

Le vieil homme grogna dans sa barbe.

-Ma femme j’l’emm*rde. ‘A me fait pas peur. Tiens, ressers-moi une vodka.
-Non Vali. C’est trop. N’oublie pas que tu me dois déjà une bonne dizaine de verres.
-Ouais bon… Je te payerais demain si j’oublie pas.

Le vieil homme se leva non sans esquisser une grimace, prit son vieux chapeau écrasé et s’apprêta à partir. Il se dirigea vers la porte, mais au moment de l’ouvrir, celle-ci s’ouvrit toute seule. Surpris, il se retrouva nez à nez avec Ian Strauss. Celui-ci fut surpris et eut un mouvement de recul. Le vieil homme sortit tête baissée sans faire attention au jeune homme. Ce dernier entra et s’approcha du comptoir, d’où le patron le regardait, ébahi.

-Bonsoir, fit Ian, j’aurais besoin d’une chambre pour une durée indéterminée. Est-ce que vous auriez ça ?

Le patron resta les bras ballants pendant quelques secondes, lesquelles furent atrocement gênantes pour Ian. Il finit par se ressaisir.

-Bien sûr qu’on a ça, mon gars. Tu veux une chambre avec vue sur la place où sur le jardin ?
-Je préfèrerais avec vue sur la place, merci.

Trystan se baissa et sortit une vieille clé poussiéreuse de sous le comptoir. Il souffla dessus et la donna à Ian.

-Tiens mon gars, une bonne chambre bien confortable, avec lit double et salle de bain. C’est la 32. Ma fille va t’y amener. Annabelle, veux-tu bien…

-J’y vais papa. Si vous voulez bien me suivre… Avez-vous des bagages au fait ?

Ian mit un petit temps à comprendre qu’on lui parlait.

-Hein ? Ah, euh… Oui, j’ai une valise. Elle est avec moi...

Ian montra d’un air las une valise de taille moyenne. Annabelle lui fit signe de la suivre.

-Vous êtes au deuxième étage. Le téléphone ne fonctionne pas, mais vous avez une petite sonnette pour appeler la réception en cas de besoin. Le petit déjeuner est compris dans la location, il est servi de 7 heures à 10 heures. Demain, mon père vous donnera une brochure et un plan de la ville…

En même temps que la jeune fille parlait, ils montèrent un petit escalier étroit jusqu’au deuxième étage. De là partait un long couloir qui tournait en angle droit au bout. Elle lui indiqua la troisième porte à droite, porte sur laquelle était fixé le nombre 32.

-Voilà. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas et sonnez. Le dîner sera servi dans une heure à peu près. Bonne soirée.

Sur ces paroles, elle tourna les talons et redescendit les escaliers. Ian la regarda jusqu’à ce qu’elle ait disparu dans les escaliers. Puis il se résigna à entrer dans sa chambre. Il tourna la clé et poussa la porte.

*Bon, ça va, j’aurais pensé que ce serait pire*

La chambre était en elle-même assez vieillotte, avec son papier peint floral ultra-kitch et sa moquette violacée. Mais la chambre était bien entretenu, le lit était fait et le sol nettoyé jusque dans ses moindres recoins. Ian posa sa valise sur son lit, et commença à la défaire. Il rangea ses affaires dans l’armoire, et alla vite vérifier s’il y avait de l’eau chaude. Etant rassuré, il se fit couler un bain brûlant.

*Finalement, ça ne s’annonce pas si mal…*

Pendant que la baignoire se remplissait d’eau brûlante, Ian alla s’allonger sur son lit et ferma les yeux. L’eau qui coulait faisait un bruit étrange mais néanmoins pas désagréable pour Ian, qui se calmait peu à peu. Même s’il ne l’avait pas fait paraître aux gens de l’auberge, Ian avait eu extrêmement peur. En arrivant dans la région, il avait été attaqué par des monstres rouges avec de petites cornes qui avaient essayé de lui trancher la gorge. Il s’était hâté de faire demi-tour, pensant échapper aux créatures, mais la route s’étendait à l’infini. Chaque fois qu’il essayait d’avancer sur celle-ci, elle s’étirait encore et encore. Ian ne comprenait pas exactement ce qui se passait, mais il savait que l’endroit était régit par des forces occultes et qu’il ne pourrait en ressortir par cette route. Sachant qu’il y avait un village à proximité, il décida de s’y rendre pour essayer de trouver un endroit où dormir. Ensuite, il aviserait.
Sa voiture n’avait plus d’essence et l’avait lâché à 2 kilomètres du village. Il avait été contraint de marcher jusqu’ici avec sa valise. Bien que ce ne fût pas un effort physique intensif, Ian était déjà fatigué, et cette marche l’exténua.
Quand il finit par atteindre le village, il remarqua deux choses positives : de une, les habitants n’étaient pas des petits monstres rouges immondes, mais semblaient être des humains normaux, bien que ceux-ci le regardèrent bizarrement. Il essaya de ne pas croiser leur regard. La seconde chose positive était l’auberge, qu’il vit en arrivant sur la place. Bien qu’ancienne, elle semblait en assez bon état, et il y avait même un écriteau sur lequel on pouvait lire « OUVERT » fixé à la porte. Ian ne se posa même pas de questions et entra : il s’était attendu à dormir dans un bâtiment abandonné, ou même à la belle étoile.

*Bon, il va falloir que je vois ce que je vais faire. Apparemment les gens sont normaux dans ce bled. Par contre, au sujet de cette route… Il va falloir que tu prennes sur toi, Ian. Et que tu ailles…*

Sa pensée fut interrompue par un spasme musculaire douloureux. Il serra les dents et écarquilla les yeux. Puis il les referma, se cramponna à son lit et attendit que son cœur qui battait à la chamade reprenne un rythme normal.

*Blake me joue encore des tours… Il sait que je suis fatigué… Saloperie ! J’aurais donc jamais un temps où je pourrais me reposer sans le sentir essayer de prendre mon contrôle !?*

Le bruit de l’eau le ramena à la réalité. Il se tourna vers la salle de bain.

*Mon bain ! J’allais l’oublier…*

Il se leva et entra dans la pièce. La baignoire était presque remplie à ras-bord, et les murs étaient recouverts de buée. Il ferma le robinet, trempa son doigt dans l’eau brûlante. Trouvant la température satisfaisante, il ferma la porte pour éviter d’avoir des courants d’air froids provenant de la chambre ; il se dévêtit et se glissa prestement dans l’eau brûlante. Il laissa échapper un soupir de satisfaction.

*Ça fait tellement longtemps que je n’avais pas pris un bain que j’avais oublié à quelle point c’était agréable…*

Il resta dans l’eau chaude pendant presque trois quarts d’heure, n’osant pas bouger, de peur de rompre ce calme si inhabituel chez lui. Finalement, sentant l’eau refroidir, il sortit, se sécha et alla choisir des vêtements. Il opta pour un jean serré noir ainsi qu’une chemise à manche longues violette. Puis il retourna dans la salle de bain pour essayer de se coiffer. Il vit au bout de trois minutes qu’il n’y arriverait pas. Il mit sa montre, et constatant l’heure avancée de la soirée, il décida d’aller manger. Il prit donc sa clé et ferma la porte derrière lui, puis il descendit les escaliers en quête de quelque chose à manger…